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Agenouillé devant l'ombre, l'ombre en armure noire que l'on connaissait partout dans la galaxie sous le nom de Dark Vador, Ranik Solusar sentait son sang descendre le long de sa tempe droite et imbiber son col de tunique, après ses cheveux châtains. Sa blessure, loin d'être mortelle, n'était pourtant pas la seule. Le Seigneur Noir de la Sith s'était amusé à le réduire à genoux pour le simple plaisir de le voir supplier. Après des années d'errance à vouloir échapper à tout prix aux Purges, Ranik devait finalement se rendre compte, devant le caractère impitoyable de cette chasse aux Jedi, que rejoindre la Force semblait sa seule option.
Fixant le masque noir, il se souvint... Il se souvint qu'il s'était défendu avec courage aux commandes de son chasseur Jedi sur Geonosis, aux côtés de Bant Eerin, Adi Gallia, Siri Tachi, A'Sharad Hett et bien d'autres encore. Il avait participé à la Guerre des Clones comme commandant de la Grande Armée de la République, sans trop savoir pourquoi il faisait la guerre. Parfois, il avait rejoint les pensées de plus grands Maîtres de l'Ordre: les Jedi ne devaient des comptes qu'à la Force, pas à la République. Mais les citoyens de l'espace républicain avaient une conscience politique qui lui échappait: d'un côté, on avait accusé les Jedi de prendre les enfants aux berceaux; de l'autre, on les réclamait comme gardiens de la paix. Ranik s'était pris de nombreuses fois la tête entre les mains de rage, à force d'entendre les discours ambigus de certains sénateurs prêts à tout pour plaire à leurs concitoyens. Le Conseil et Palpatine, l'homme dont il avait appris la responsabilité dans le déclenchement et l'organisation des Purges des Jedi, l'avaient envoyé aux quatre coins de la galaxie lui faire voir des planètes mises à feu et à sang par des luttes de factions et des intérêts économiques; il avait vu des industries multi-galactiques s'installer et presque réduire en esclavage des populations réduites à l'état préhistorique pour la simple volonté de supporter l'effort de guerre, avec l'assentiment de ce cher Chancelier Suprême. Il avait tant vu... Tant appris aussi... Il avait appris à se battre, à manier un sabre laser à la perfection, passer d'une Forme de combat à une autre, trancher net des membres, découvert des espèces, partagé des moments de camaraderie avec des clones, éprouvé de la tristesse pour leurs morts, des moments émouvants quand ils avaient remporté la victoire. Ranik avait tant partagé avec ces clones qui l'avaient trahi. Comment cela avait bien pu se produire? Il errait dans le Temple Jedi à cette époque, quand Koffi Arana, un Chevalier Jedi à la peau noire et avec une queue de cheval faite de cheveux crépus mis en chignon, était venu le voir. - J'ai besoin d'un ami avec moi sur Boz Pity. - Un ami, ou un compagnon de jeu? répondit Ranik. - Les deux, répondit Arana en souriant. J'ai déjà contacté Ma'Kis'Shaalas, et le Conseil m'a assigné d'autres personnes pour m'escorter et garder les troupes de clones. - Es-tu en train de me dire que notre mission consistera à jouer les bergères? - Tu lis dans mes pensées, Ranik! Le Jedi avait fait un sourire et avait hôché de la tête. - Je t'accompagnerai avec plaisir dans ce cas. Je ne sais pas très bien ce que je fais au Temple, ni quelle est ma place ici... Quelques heures plus tard, il se trouvait dans un destroyer stellaire Venator, le Diplomate, à destination de Boz Pity où toute la compagnie de Jedi remplacerait Quinlan Vos et ses camarades revenant de Saleucami. Ranik s'était dit que la Guerre allait prendre fin bientôt, avec la mort du Comte Dooku et la libération du Chancelier Palpatine. Il admirait des Jedi comme Obi-Wan Kenobi et Anakin Skywalker qui avaient passé l'essentiel de ces trois années dans des vaisseaux ou leurs chasseurs, à pourchasser Dooku et ses sbires, à prendre sans relâche les planètes les unes après les autres, à se sacrifier, quitte à rejoindre la Force. Parce qu'ils croyaient en cet idéal. Lui, désormais arraché de ses idéaux, se contentait d'assouvir les ordres du Conseil. Peu de temps après avoir débarqué sur Boz Pity, Ranik n'avait eut même pas le temps de saluer Vos qu'il était déjà parti à destination de Kashyyyk rejoindre Maître Yoda et Luminara Unduli. Koffi Arana l'avait assigné aux patrouilles orbitales dans un Intercepteur Eta 2 Actis, dernier né des vaisseaux Kuat. Si Ranik adorait voler, c'est parce que la sensation de liberté que ça lui procurait décuplait avec la puissance de l'engin. Avec un Intercepteur, il pouvait faire ce qu'il voulait. Pour preuve, le Jedi s'était amusé à raser la base républicaine, puis à piloner un tank droïde hors d'usage avec l'une de ses torpilles. Il reçut par comlink un appel d'Arana. - D'après nos scanners longue distance, une frégate de classe Munificent partrouillerait à la lisière du système, j'ai besoin de toi pour aller voir ce qu'il s'y trame. Il faut que tu y ailles seul: tu regardes et tu t'en vas. Pas besoin d'avoir des clones dans les pattes. - Comme tu le souhaites. (Il bascula sur une autre fréquence.) Escadron, rompez la formation. Je vais en mission seul. - Bien compris, Commandant, répondit le leader du vol. Les chasseurs RCO-170 firent demi-tour et plongèrent vers la surface de la planète. Il n'y avait plus désormais que lui et l'espace. L'infinité lui donnait le vertige mais il s'imprégna de la Force et fit jouer sur les commandes en activant le booster. Ranik Solusar fit dévier ses ailes sur babord pour arriver en direction des anneaux hyperspatiaux. Son droïde posa une question en langage binaire. - Nous irons surement plus vite: regarder et repartir, tu as entendu comme moi, non? Le droïde fit une réponse négative, affirmant qu'utiliser les anneaux reviendraient à consommer du carburant pour rien et ne leur donnait même pas la possibilité de pouvoir s'échapper efficacement. - Je crois que tu as passé trop de temps avec les droïdes intendants du camp. Leur mot d'ordre étant: économie, économie, économie, je crois les reconnaître au travers de toi... Son comlink interne bipa alors et il sentit un danger au travers de la Force. - Ranik, c'est Koffi, où es-tu? - Je rallie mon anneau, pourquoi ça? (Les perturbations allaient sen s'empirant.) J'ai senti quelque chose dans la Force, tout va bien? - Non! Les clones sont devenus fous! Ma'Kis et moi sommes en train de courir vers un RCO! Ils ont tué les autres! Tu m'entends? Ils les ont tués! cria le Chevalier Jedi. - Comment ça? Tu veux dire que les clones se sont retournés contre nous? demanda Ranik abasourdi. - Oui! Un tir de Juggernaut a pratiquement désintégré Jiima, puis une escouade de clones a tué Ploo-Mam Fosz et Qut Hasam! Il faut fuir! Nous devons nous séparer si nous voulons survivre! - Nous séparer? - Oui, nous séparer... nous séparer, Ranik. Seule la vie compte désormais. J'ai senti un soubresaut dans la Force, et il n'était pas isolé. J'ai senti la mort. Il se passe quelque chose de terrible... (Ranik sentit Koffi reprendre sa respiration.) Que la Force soit avec toi, mon ami. Survis tant que tu le peux. La communication cessa soudain, et Ranik s'était senti totalement abandonné. Il n'avait plus rien vers qui ou quoi se tourner. Le radar en face de lui indiquait qu'il aurait assez de temps pour rallier son anneau, calculer un cap et sauter en hyperespace avant que les clones dans leurs chasseurs n'aient le temps de le rattraper. Ranik se rappella qu'il avait accéléré et s'était enfin accroché à l'anneau, puis avait ordonné en quatrième vitesse à son droïde de calculer un cap vers une planète de la Bordure Extérieure. Loin des clones, loin de la Guerre. Loin des survivants de l'Ordre Jedi. En orbite de Velmor, une planète de la Bordure proche de Garos IV, son anneau hyperspatial avait heurté un astéroïde. Les instruments s'étaient affolés après que la fuite de carburant ait mis de l'hydrogène en suspension et Ranik n'arrivait pas à faire sortir son Intercepteur. Il força sur les commandes et s'aida de la Force pour débloquer le bout de tôle courbé qui coinçait le vaisseau dans la masse inerte. Malheureusement, l'anneau fut attiré en arrière par son mouvement et heurta le cockpit de l'Intercepteur. La verrière se fendit légèrement, puis Ranik sentit l'atmosphère en suspension s'échapper par les minuscules fissures créées par l'impact. Il se souvint que son comlink était à sa portée, qu'il l'avait pris et avait appelé au secours sur toutes les fréquences. - Vaisseau en détresse, je répète, vaisseau en détresse, j'ai besoin d'aide! (Il se tourna vers son droïde.) B6... je... continue à émettre... Dans quelques minutes, tout serait fini pour lui. Le Jedi sentit son regard se voiler et sa tête pendre contre sa poitrine. Il sombra dans l'inconscience peu après. Lorsque le choc le réveilla, un mal de crâne surgit du néant pour le rappeler à la réalité. Sur le coup, la seule pensée qui lui vint était celle d'avoir rejoint à tout jamais la Force, d'autant plus qu'une jeune femme s'était penchée sur lui pour plaquer ses épaules et l'obliger à s'allonger. - Vous avez besoin de repos, Jedi. - Est-ce que je suis au paradis? Qui êtes-vous? rétorqua-t-il. - J'ai capté votre message d'urgence sur une fréquence. Je quittais à peine la planète que je me suis précipitée. Je suis infirmière à l'hôpital civil de Del Velmor et je fais souvent la navette entre Velmor et Garos pour des fournitures. La Force était avec vous... - Il n'y a plus de Force... et je ne suis plus un Jedi... - Comment ça plus de Force? J'ai vu aux informations sur Holonet que les Jedi avaient tenté de renverser le Chancelier en l'assassinant. - L'assassiner? Mais c'est impossible, qui... - Les Maîtres Windu, Fisto, Tiin et Kolar faisaient partie du lot. Le Temple Jedi a été brûlé en représailles. Ranik se releva prestement et évita de justesse le bord de la cloison qui l'aurait cloué une nouvelle fois au lit. La jeune femme devina ses pensées et alluma sa console d'informations. Les images qui défilèrent devant ses yeux lui glacèrent le sang, tout comme la bande audio avec les voix des Maîtres du Conseil et celle de Palpatine où ils parlaient de renverser le Sénat: Ranik savait que cela était impossible et visiblement la jeune femme le croyait aussi. Mais son sang ne fit qu'un tour lorsqu'il fit la Déclaration du Nouvel Ordre et au bas, la liste des Jedi recherchés: Kai Justiss, Halagad Ventor, Koffi Arana et... Ranik Solusar. - Mais c'est moi, s'exclama le Jedi à la fois dépité et désespéré en pointant son nom du doigt sur la console. - Ranik, je vais vous aider. (Il tourna prestement sa tête vers elle, cherchant du coin des yeux du réconfort.) Je vais vous aider à vous cacher. Ils ne vous trouveront pas, je vous le promets. Après cette déclaration, ils rallièrent de nouveau la planète. Les jours passèrent, et ils se rapprochèrent. Ranik avait emmenagé chez elle, mais sans apporter d'affaire. L'Ordre Jedi avait autrefois des préceptes de non attachement aux autres personnes, à la fois sur le plan politique, mais aussi sentimental. Ranik pouvait désormais oublier ces préceptes. Il était tombé amoureux. La Force le lui avait dit: c'est elle. La femme de sa vie était Jeera Ohm et elle avait vingt-quatre ans. Un soir, elle s'était approchée de lui dans le canapé-lit dans lequel il dormait et Ranik Solusar s'était laissé aller à l'amour et au plaisir de l'instant présent. Neuf mois plus tard, naquit Kam Solusar, son fils. Mais la Force revenait tôt ou tard sur sa promesse: une maladie inconnue avait touché Jeera, qui mourut trois ans plus tard, laissant Ranik élever son enfant seul. Il n'avait désormais plus aucune attache mais l'Empire Galactique resserrait son emprise sur la galaxie. Elle devenait trop petite pour les Jedi. C'est ainsi que ce jour-là, Dark Vador retrouva Ranik et s'ensuivit un duel sanglant qui le précipita vers ses souvenirs. Ces quelques secondes de répit lui donnèrent un grand bien: des années de sa vie passées au crible de ses souvenirs. Les bons, comme les mauvais moments. Son fils Kam avait réussit à fuir par son sacrifice, il pouvait désormais se laisser aller à la Force, comme nombre d'autres Jedi avant lui. N'ayant pas cessé un instant de fixer le masque de Vador, il hôcha la tête dans sa direction. - C'est le moment d'en finir, murmura-t-il. La lame rouge fonçant vers son visage fut la dernière chose que Ranik Solusar vit avant de rejoindre un océan de quiétude lumineux. |
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